jueves, 24 de febrero de 2011

Quelle résistance face au souffle du changement ?


Caryle Murphy Courrier International
Quelle résistance face au souffle du changement ?
Après trois mois d'absence, le roi Abdallah ben Abdoul Aziz rentre dans un pays où les réformateurs, inspirés par l'Egypte, appellent à davantage d'ouverture et d'égalité. A Riyad, les langues se délient.

Quand son jet royal s'est posé dans la capitale saoudienne le 23 février, mettant fin à trois mois d'absence, le roi Abdallah ben Abdel Aziz a retrouvé un pays que l'on croirait ancré dans l'œil du formidable cyclone qui se déchaîne autour de lui. Mais il est aussi évident que le monarque octogénaire, parti à New York en novembre pour subir une intervention chirurgicale dans le dos, puis au Maroc en janvier pour un séjour de convalescence, revient dans un royaume sans conteste ébranlé par les rébellions de la jeunesse qui secouent le Moyen-Orient.
Plus que jamais, les Saoudiens réclament ouvertement le changement, y compris des réformes politiques. Les plus bruyants sont les représentants de cette jeunesse branchée qui a suivi avec ferveur les mouvements historiques déclenchés par leurs pairs sur Twitter et Facebook, en particulier en Egypte.
Certes, le roi Abdallah, dont les coffres riches en pétrodollars assurent à l'Arabie Saoudite de généreux bénéfices et un développement matériel, est sincèrement aimé de la plupart de ses sujets. Quant au gouvernement, il est protégé par une culture religieuse où toute rébellion est jugée illicite et où les manifestations publiques sont mal vues. Mais ceux qui appellent au changement ont transformé Internet en leur place Tahrir, créant des espaces, comme #EgyEffectSA sur Twitter, tenant lieu de forum où ils s'expriment sur l'impact des événements égyptiens dans leur propre pays.
Un groupe d'une quarantaine de jeunes Saoudiens, pour l'essentiel des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme, ont signé une "Lettre au Roi" dont la publication a coïncidé avec le retour du souverain. Les auteurs disent s'inspirer de la jeunesse arabe, et être confortés par les encouragements du roi en faveur du dialogue national. Ils exigent des élections pour le Conseil consultatif de la Choura, le droit de vote pour les femmes et le droit de présenter leur candidature, ils réclament la mise en place de mesures rigoureuses de lutte contre la corruption, et davantage de transparence et de responsabilité au niveau fiscal. De plus, ils veulent que le gouvernement soit remanié, afin que l'âge moyen des ministres, aujourd'hui de 65 ans, passe à 40.
Une autre initiative - qui n'est toutefois pas allée bien loin -, a pour origine dix islamistes modérés, dont des universitaires et des juristes, visant à défier l'interdiction des partis politiques. Ils ont ainsi proclamé la création du Parti islamique Oumma. "Nous pensons que la famille royale n'est pas la seule à avoir le droit de diriger le pays, déclare dans une interview Abdel Aziz Mohammed Al Wohaibi, un des fondateurs du parti. Nous devrions traiter la famille royale comme n'importe quel autre groupe ... Pas de traitement de faveur." Quand on lui demande si le groupe est né à la suite des événements en Egypte, il répond que ces derniers "ont engendré une atmosphère propice à un mouvement comme celui-ci".
Et, la semaine dernière, le demi-frère du roi, le prince Talal ben Abdel Aziz, a estimé dans un entretien à la BBC qu'à moins que le monarque ne procède à de nouvelles réformes, le royaume courait le risque d'une révolution future. Bien que Talal soit un électron libre qui dispose de peu de soutien au sein de la famille royale, ses réflexions suscitent un débat animé chez les Saoudiens.
Il est important de souligner que ces appels au changement n'envisagent pas de mettre un terme à la monarchie, ce qui, selon la plupart des Saoudiens, serait synonyme de désastre. "Tous les gens ou presque, même les jeunes, ont vraiment foi dans la monarchie, surtout dans le roi Abdallah - tout le monde l'adore," explique Eman al Nafjan, célèbre blogueur de Riyad. "Il s'agit d'accélérer les réformes", comme un Parlement élu et "davantage de transparence et de responsabilité pour ce qui est du budget du pays". Il y a bien eu quelques brèves manifestations : des étudiants qui voulaient que le ministère de l'Education leur donne des emplois ; des habitants de Djeddah furieux des dégâts dus aux inondations ; et une cinquantaine de femmes réclamant la libération d'hommes de leurs familles, suspectés d'activités terroristes et détenus depuis des années sans procès.
Le chômage, la corruption et ces détentions sont les sujets qui alimentent le plus le mécontentement. "Nous avons besoin d'une réforme en profondeur en ce qui concerne la dignité du citoyen," affirme Mohammed al-Hodaïf, dont trois proches sont incarcérés depuis longtemps sans chef d'inculpation. Hodaïf, conservateur religieux, a emmené ses filles dans un restaurant chinois pour fêter la chute du dirigeant égyptien Hosni Moubarak. L'Egypte, dit-il, a connu "une révolution pour la liberté et la démocratie. Les gens aspirent à la liberté et à la démocratie. Pas seulement en Egypte. Dans tous les pays arabes". Sur Twitter et à la télévision, Abdoulaziz al-Gassim, avocat de Riyad, a lui aussi suivi avec passion la fascinante métamorphose de l'Egypte. Et il pense que l'impact sur son propre gouvernement est sensible. "Ça les a mis dans la situation la plus difficile qu'ils aient jamais vécue, parce que c'est un combat sans ambiguïté, conclut-il. L'objectif est désormais très clair. C'est un gouvernement efficace, garanti par un Etat

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